16 avril 2025

Des habitudes à la conscience : L’éclat des Chaloch Régalim

La Torah nous ordonne de célébrer trois fêtes majeures appelées Chaloch Regalim : Pessa’h, Chavouot et Soukot. Que signifient ces rendez-vous spirituels, et quelles leçons profondes se cachent derrière les mitsvot qui leur sont associées ?

Le terme Regalim vient du mot hébreu רגלים, qui signifie littéralement « pieds ». Mais il partage aussi sa racine avec le mot hergel (הרגל), qui signifie « habitude ». Cela nous enseigne une idée fondamentale : nos pieds, comme nos habitudes, nous dirigent souvent sans que nous en ayons pleinement conscience. Il arrive que nous souhaitions aller à gauche, mais nos pieds – par force d’habitude – nous mènent à droite. À force de répétition, nous arrêtons de réfléchir, nous avançons simplement là où nos pas nous portent. D’où peut-être l’expression populaire : « bête comme ses pieds ». Les pieds n’analysent pas, ils avancent.

Les Chaloch Regalim viennent précisément nous réapprendre à reprendre le contrôle, à nous détacher de nos automatismes et à redevenir maîtres de nos choix. Chaque fête nous propose un défi spécifique pour nous affranchir de nos habitudes, pour marcher avec conscience, avec intention.

Pessa’h, tout d’abord, est surnommé Zman ‘Heroutenou – le temps de notre liberté. La Torah ne nous demande pas seulement de ne pas manger de ‘hamets, mais de ne même pas en posséder. C’est une rupture totale avec notre quotidien, car le ‘hamets est omniprésent dans notre alimentation tout au long de l’année : pain, pâtes, gâteaux… Et pourtant, la Torah nous dit : « Stop ! Pendant sept jours, débarrasse-toi de tout cela. » À sa place, nous mangeons de la matsa, symbole d’humilité et de pureté. Ce premier défi est une leçon sur la maîtrise de nos habitudes alimentaires. La véritable liberté commence quand on peut dire non, même à ce qui nous semble essentiel.

Chavouot ensuite, la fête sans accessoires. Pas de soukka, pas d’aliments particuliers, juste un moment unique : la réception de la Torah. Comment cela se fait-il ? Par un engagement. Un simple Naassé véNishma – nous ferons, et nous comprendrons ensuite. Cela va à l’encontre de notre mentalité naturelle, qui veut tout comprendre avant d’agir. Ici, il s’agit de soumettre notre volonté à une sagesse plus grande que nous. Cette fête nous apprend à dépasser nos résistances intellectuelles et émotionnelles pour accepter une vérité plus haute. C’est le deuxième niveau : la maîtrise de nos réactions mentales et affectives.

Soukot, enfin, vient clore ce cycle de transformation. Après 40 jours de Techouva, de prières, de réveils matinaux avec les Seli’hot, et un Yom Kippour intense, on pourrait penser qu’un repos bien mérité s’impose. Mais non. La Torah nous dit : « Quitte ta maison, ton confort, et va t’installer dans une soukka. » Une cabane simple, couverte de feuillage, ouverte aux étoiles. Et cette fête, étonnamment, s’appelle Zman Sim’haténou – le temps de notre joie. Pourquoi ? Parce qu’après avoir appris à maîtriser nos habitudes matérielles et émotionnelles, nous découvrons la joie d’être réellement libres. Ce n’est plus une contrainte : c’est une victoire. C’est pour cela que nous dansons ensuite à Sim’hat Torah – la Torah devient notre trophée, notre fierté.

Le chiffre trois dans Chaloch Regalim n’est pas anodin : en halakha, trois fois crée une ‘hazaka – une solidité, une permanence. Il est dit (Kohelet 4:12) : Hout haMechoulash lo meherah yinatek – « Ce qui est triplé ne se brise pas facilement. » À travers ces trois étapes, la Torah nous enseigne que nous avons en nous la force de dire “non”, de changer, de reprendre le contrôle.

Trop souvent, on se dit : « Je ne peux pas, c’est mon habitude » – que ce soit pour une cigarette, une alimentation déséquilibrée, l’addiction au téléphone, le stress, ou même la peur de changer. Mais ces fêtes viennent nous rappeler : Tu peux. Tu n’es pas esclave de tes automatismes.

Chaque matin, nous disons dans les bénédictions : Chelo ‘assani ‘aved – « Merci de ne pas m’avoir fait esclave. » Esclave de qui ? De quoi ? De nos habitudes qui prétendent nous gouverner.

Alors vivons la vie du bon pied. Alignons nos pas sur la volonté d’Hachem, et nos pieds ne nous perdront plus, ils nous guideront avec confiance sur le bon chemin.

Comme le dit David HaMelekh dans les Téhilim (119:105) : “Ta parole est une lampe pour mes pieds et une lumière sur mon sentier.”

Ce verset résume tout : sans la lumière de la Torah, nos pieds avancent par habitude. Mais lorsqu’ils sont éclairés par la parole d’Hachem, chaque pas devient un acte de conscience, chaque mouvement une direction choisie.
Et c’est précisément cela que les Chaloch Regalim nous offrent : trois étapes pour rallumer cette lumière en nous, et apprendre à marcher, non plus par automatisme, mais avec clarté, force et émouna.

Rav Mordekhai Bismuth