22 décembre 2024

Emor: Ne pas rechercher l’intérêt personnel  

Notre Sidra est aussi appelée « Parachat Amoâdot » car elle traite de toutes les fêtes relatives à notre calendrier. Elle cite dans l’ordre depuis Pessa’h, la Sefirat Aomer, Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour puis Souccot. La Torah s’interrompt pourtant après la fête de Chavouot pour parler de plusieurs Mitsvot que nous détaillerons ici. Le propriétaire d’un champ a certaines obligations envers les pauvres. Si en récoltant il oublie deux épis, il ne pourra revenir en arrière pour les cueillir et devra les laisser au pauvre (Mitsva de Léket). Si en formant les tas il fait aussi tomber deux gerbes, elles appartiendront au pauvre (Mitsva de Chi’héra). Il devra enfin laisser un coin de son champ non moissonné à disposition des plus démunis (Mitsva de Péah). Pourquoi introduire de telles Mitsvot entre les fêtes de Chavouot et de Roch Hachana ? Quel est le rapport ?

Au sujet de la Mitsva de Tsédaka, le Rambam explique qu’on devra toujours donner préséance à nos proches. « En premier lieu il donnera à sa famille proche puis aux pauvres de sa ville puis aux démunis d’une autre ville ». On voit que l’homme a la possibilité de choisir à qui il désire donner son Maassère ou la Tsédaka. En revanche, à propos des Mitsvot liées au champ le propriétaire à l’interdiction de lui-même récolter les gerbes appartenant au pauvre. Il ne pourra décider à qui il désire remettre la récolte. Son champ sera à disposition des personnes à faibles revenus. Même s’il s’agit de son pire ennemi, le propriétaire n’a aucun droit de regard. Comment comprendre cela et pourquoi différencier ces Mitsvot de la Tsédaka ?

Cela va encore plus loin, même aider les pauvres à récolter est interdit, le propriétaire ne peut même pas leur distribuer. Il doit carrément être absent des lieux au moment où ceux-ci viennent récupérer leur dû.

La Guemara de Yébamot évoque le procédé de conversion. La Torah n’est pas prosélyte en générale et on essaye même de décourager celui qui désirerait faire désormais partie de notre peuple. Ainsi on lui décrira quelques obligations de la Torah, on lui citera des Mitsvot difficiles à accomplir ainsi que d’autres beaucoup plus évidentes. Selon sa réaction on jugera de son sérieux et de sa motivation. Si les Mitsvot difficiles ne le repoussent pas et qu’il ne semble pas vouloir négliger les « petites » Mitsvot simples dans leurs accomplissements, on pourra l’accepter. Dans la liste qu’on fait au non-juif désireux de se convertir, on ajoute aussi les Mitsvot dont on a parlé précédemment. Là aussi il faudrait comprendre leur importance et surtout pourquoi on les cite en exemple à celui qui désire faire parti du peuple juif.  

Un Juif qui volerait moins qu’une quantité moindre (pa’hot michavé prouta) n’est pas coupable, il n’en est pas ainsi pour un non-juif chez qui toute forme de vol, la plus infime que ce soit est punissable. La Torah explique que les Goyim accordent une très grande importance à leurs biens matériels et qu’en cas de vol ils ne sont absolument pas prêts à pardonner le voleur même pour une somme dérisoire. Ainsi, on teste celui qui désire se convertir justement dans le domaine des Mitsvot de Tsedaka liées à l’argent. On cherche à voir s’il sera prêt à donner généreusement à son frère juif ou s’il ne peut se passer de ses biens.

Cependant, les Mitsvot liées au champ ne demandent pas tellement de « sacrifice » matériel. Comme on l’a expliqué, il s’agit de laisser au sol deux gerbes de blé qui seraient tombées. La Hala’ha précise bien que si trois gerbes se détachent il faudra les ramasser. Si on avait voulu réellement tester la générosité du futur converti, il aurait fallu lui présenter les lois de Maassère Ksafim (la dîme monétaire) et lui expliquer qu’un juif doit réserver au minimum 10% de ses revenus à des érudits en Torah ou des pauvres. Pourquoi donc utiliser ses lois de Léket, Chi’héra et Peah pour estimer l’honnêteté du candidat ?

A ce propos, on relatera le récit suivant. (Traité de Avoda Zara). A l’époque où l’empire romain avait envahi Erets Israël, ils imposèrent à notre peuple des décrets terribles. Il était notamment interdit d’étudier la Torah sous peine de mort. Rabbi Hanina ben Teradion qui ne craignait que D…, non seulement étudie la Torah, mais la transmettait en public à des centaines d’étudiants. Son Rav, Rabbi Yossi ben Kissma le mit en garde du danger encouru pour de telles actions. Les Romains étaient réputés comme particulièrement cruels, ils avaient brulé le Beth Hamikdach, il était donc très risqué de transgresser leurs décrets. Cependant, Rabbi Hanina avait confiance en D… et lui répondit qu’il agissait comme il le devait et qu’une vie sans étude de la Torah et comparable aux poissons qui ne peuvent vivre sans eau.

Peu après cette discussion, Rabbi Hanina rencontre de nouveau son Maitre à qui il demande s’il aura le mérite de rentrer au Monde futur. Rabbi Yossi lui demande s’il a fait une véritable bonne action dans sa vie. « Un jour, j’avais de l’argent de Tsédaka dans ma poche ainsi que l’argent réservé aux dépenses de Pourim et toutes les pièces se sont mélangées. Ne sachant pas comment répartir l’argent, j’ai versé la totalité à la Tsédaka. » « Si tu as accompli une telle action, que j’ai le mérite d’être assis à tes cotés dans le monde futur » lui répondit Rabbi Yossi ben Kissma.

Rappelons que Rabbi ben Teradion risqua sa vie pour enseigner la Torah en public. Il fit partie des dix martyrs et fut brulé avec un Sefer Torah. Comment comprendre qu’il se pose la question s’il a une part au monde futur. N’est-ce pas évident ? Sa réponse est elle aussi très étrange. Lorsque son maitre lui demande s’il a à son actif une bonne action, il cite un acte qui semble dérisoire à côté de son dévouement pour la Torah. Il est louable d’avoir remis l’argent intégralement à la Tsédaka, mais en quoi est-ce le passe-droit pour le monde futur ?

Le Rambam (fin du traité Makot) explique que D… multiplia les Mitsvot afin de nous donner de nombreux mérites. La clé pour rentrer dans le monde futur est d’arriver à accomplir une seule Mitsva intégralement. (Maasé Mitsva béchlemout) Il s’agit de remplir la Mitsva dans tous ses détails prescrits par la Hala’ha, en s’éloignant au maximum des doutes et des accomplissements à postériori. L’intention avec laquelle on réalise la Mitsva est aussi fondamentale. On doit essayer d’agir au maximum de façon pure sans rechercher notre intérêt personnel, l’honneur qu’on percevra, l’argent … Il est très difficile d’arriver à accomplir une bonne action parfaitement. C’est pourquoi D… nous donna une multitude de Mitsvot pour permettre à tout un chacun de trouver l’ordre divin lui parlant le plus. Il s’efforcera alors de l’accomplir au mieux. C’est ainsi qu’on explique cette Guemara.

Rabbi Teradion fit un acte démesuré, il sacrifia sa vie pour enseigner la Torah en public malgré l’interdiction formelle des Romains. Pourtant il savait qu’il s’agissait d’un acte public. Il savait que la clé du monde futur est la perfection dans les Mitsvot, il est très difficile d’agir de manière pure lorsqu’on est en public. Cherche un acte petit, mais parfait, loin du regard d’autrui, loin de tes intérêts personnels, une action connue seulement par toi et Ton Créateur, tel est le conseil donné par son Maitre. Si tu as à ton actif une pareille action, c’est ton passe-droit pour le monde à venir. C’est la manière de faire une Mitsva qui détermine son importance. D… ne cherche pas de grands actes, Il recherche une intention pure.

Au moment où le Beth Din teste un nouveau candidat, il cite les Mitsvot de Leket, Chi’héra et Peah.

Naturellement l’homme cherche son intérêt dans ce qu’il accomplit. Il est très difficile d’agir de manière désintéressée seulement. Or dans les ordonnances citées plus haut, on demande à l’homme d’être totalement détaché. Il ne peut choisir à qui remettre sa récolte, il ne peut même pas intervenir ni être présent au moment de la distribution des gerbes. Il ne reçoit aucune reconnaissance. Certes il ne s’agit pas de donner beaucoup, mais de donner de façon entière. C’est ce qu’on demande au futur converti, es-tu prêt à te travailler au point de ne pas rechercher ton intérêt personnel dans tes actions ?

D… a ordonné de telles Mitsvot à Son peuple pour le raffiner. Même si donner son Maassère demande beaucoup de Emouna et de générosité, l’homme a toujours un intérêt, il choisit à qui donner, espère de la reconnaissance d’un tel acte … Personne ne te remerciera de lui avoir laissé deux gerbes de blé qui trainaient, personne ne te remerciera de ne pas les avoir ramassées. Pourtant c’est à travers des actes aussi infimes soient-ils que l’homme devient bon et apprend à gouter à la pureté dans ses actions.

Il est impossible de faire une Mitsva parfaite avant le don de la Torah. Un ‘Hessed appréhendé sans Torah n’est pas véritablement un acte de bonté. On a besoin du cadre et de la sainteté de la Torah pour définir ce que D… appelle « bonté ».

Ces Mitsvot sont donc citées après Chavouot, après que la Torah ait été donnée au peuple juif. Pour être quitte du jugement de Roch Hachana et mériter une année de vie supplémentaire, il faut pouvoir présenter une Mitsva pure. Cet enseignement précède donc l’annonce de Roch Hachana.

Rav Michael Guedj