15 novembre 2024

Les 10 martyrs – Récit

Le Midrash Ele Ezkera [litt.: ‘Ces hommes, je me souviendrai’] raconte: Rabbi Elisha était l’avant-dernier Cohen Gadol [pontife] avant la destruction du IIe Beit Hamikdash. Durant plusieurs années, les enfants qui lui naissaient mourraient peu de temps après. Sa femme lui demanda un jour : ‘Pourquoi tous les autres Tsadikim ont le mérite d’avoir des enfants et pas nous ?’ Il lui répondit : ‘Parce qu’ils les conçoivent avec beaucoup de pureté. Les hommes comme leurs femmes se trempent chaque soir au Mikveh, au cas où un enfant devrait être fécondé’. Ils décidèrent d’adopter cette conduite.

Un soir, la femme de Rabbi Elisha alla se purifier. En sortant, elle tomba nez-à-nez avec l’animal impur emblème de la bassesse. Elle retourna immédiatement se tremper. En sortant, elle rencontra un chameau. La scène se reproduisit à plusieurs reprises, chaque fois avec un nouvel animal impur.

Du ciel, Hashem admira sa persévérance, et somma l’ange Matatron, haut responsable de la cour céleste, de lui venir en aide, car cette pieuse aurait le mérite de féconder un Tsadik, Rabbi Yishmaël Cohen Gadol. Accompagné de l’ange Gavriel, ils descendirent et se tinrent à la porte du Mikveh. En sortant, elle vit d’abord Gavriel, qui lui apparut avec un visage splendide.

Hashem la bénit cette nuit-là, et lui offrit un vrai chérubin. Le visage de Rabbi Yishmaël était identique à celui de Gavriel. Il connaissait le Grand nom de Hashem, et lorsqu’il le prononçait avec pureté, il montait au ciel et interrogeait Gavriel, qui l’éclairait sur les voies de Hashem. Rabbi Yishmaël grandit, et succéda à son père.

A cette époque, les Romains conquéraient le monde. Dirigés par l’affreux Titus, que son nom soit effacé à jamais, ils amorcèrent la conquête de Jérusalem, le génocide des Bnei Israël, et la destruction du Beit Hamikdash

^^Le Midrash raconte : Lorsque Hashem créa les arbres, ils s’élevèrent très haut, fiers d’avoir été créés. Puis Hashem créa le fer. Les arbres s’attristèrent : ‘Malheur à nous ! Ce métal va nous détruire !’ Puis, ils reprirent : ‘Si nous ne donnons pas de notre bois pour fabriquer un manche de hache, le fer ne parviendra pas à raccourcir nos jours !’ Les Bnei Israël aussi, s’ils n’avaient pas enseigné leur Torah à Titus, celui-ci n’aurait pas porté atteinte aux 10 grands Tsadikim !

Titus somma plusieurs Sages de lui enseigner la Torah. Un jour, il découvrit que la Torah condamne à mort celui qui enlève un homme et le vend en esclave. Il convoqua immédiatement les 10 plus grands sages, et les interrogea : ‘Que dit votre Torah au sujet de celui qui vole et vend son prochain en esclave ?’ Ils répondirent qu’il est passible de mort. Puis ce monstre reprit : ‘Si je ne me trompe, vos ancêtres ont bien vendu leur frère ? A l’exception de Binyamin, les 10 enfants de Yaacov vendirent Yossef, n’est-ce pas ?! Justice n’a pas été faite ! Depuis leur époque, le peuple d’Israël n’a pas connu de justes aussi grands que vous ! Je vous condamne à expier leur faute !’ Les 10 sages demandèrent quelques jours de réflexion.

Endeuillés, ces 10 hommes angéliques se réunirent. Rabbi Yishmaël suggéra d’interroger l’ange Gavriel, pour savoir si la sentence était décrétée du Ciel. Il se purifia, et prononça le saint-Nom. Il monta à la cour céleste, et rencontra l’ange qui lui dit : ‘Acceptez le décret, grands hommes ! Car j’ai entendu de l’autre côté du rideau qu’il n’y a effectivement pas eu de justes qui égalaient les fils de Yaacov, jusqu’à vous !’ Rabbi Yishmaël aperçut dans le ciel un Mizbéa’h –un autel, et s’étonna : ‘Que fait un autel dans le ciel ?’ Gavriel répondit : ‘Nous offrons à Hashem les âmes des Tsadikim, qui acceptent les sentences divines avec joie, même lorsque les raisons profondes sont presque inexplicables pour le cerveau humain !

Rabbi Yishmaël regagna ses condisciples, heureux de sa révélation…

^^Lorsque Rabbi Yishmaël Cohen Gadol regagna ses camarades, ils étaient plongés dans le jeûne et les prières. Il dit : ‘Allez immédiatement vous laver et vous purifier ! Vêtez-vous de vos plus beaux vêtements, car Hashem nous appelle pour réparer la faute des 10 enfants de Yaacov ! ‘

Rabbi Néhounia ben Hakana organisa une grande réception, entremêlée de joie intense – liée à l’accomplissement de la transcendante volonté d’Hashem, et de deuil profond – pour la terrible mort qui les attendait. Alors qu’ils approfondissaient un sujet de Halakha sur les lois de Pessah, un émissaire de Titus vint arrêter Rabbi Yishmaël et Raban Shimeon ben Gamliel, le guide spirituel des Bnei Israël.

Arrivés devant Titus, ces 2 Tsadikim entrèrent en litige : lequel des 2 mourrait le premier, le pontife ou le mentor de la génération ? Chacun revendiquait le haut rang de sa fonction, pourvu qu’il n’assistât pas à la décapitation de son condisciple !

Le bourreau tira au sort Raban Shimeon ben Gamliel. Il lui trancha la tête, puis ordonna à Rabbi Yishmaël de tendre son cou. Le Cohen Gadol demanda : ‘De grâce ! Laissez-moi quelques instants pour pleurer la mort de ce Tsadik ! ’ On lui accorda cette faveur.

Rabbi Yishmaël prit la tête de Raban Shimeon, la posa contre la sienne, et prononça l’éloge : ‘Aaah! Cette bouche d’où jaillissait purement tant de Torah ! Tant de pierres précieuses coulaient de toi ! Qui t’enterrera ?! Comment n’as-tu pas évité une fin si atroce ! Qu’Hashem venge ton sang !

Le Romain se moqua de Rabbi Yishmaël: ‘Sot ! Plutôt que de pleurer la mort de ton prochain, pleure la tienne qui sera bien pire ! ’

Les pleurs du Cohen Gadol s’amplifièrent, jusqu’à attirer l’attention de la fille de Titus. En entrant dans la pièce, elle fut émerveillée par la splendeur de Rabbi Yishmaël. Elle se tourna vers son père et lui demanda : ‘Père ! J’ai une faveur à demander’. Titus reprit : ‘Si tu souhaites épargner ces juifs, je serai navré de te décevoir !’ Cette peste reprit : ‘Dans ce cas, ordonne au moins de dépecer son visage si beau pour moi !’   

Titus, tyran mais ‘père miséricordieux’, accepta la cruelle requête de sa fille. Les bourreaux commencèrent à ôter la peau du visage de Rabbi Yishmaël à vif. Lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit des Tefilin, Rabbi Yishmaël hurla amèrement. Les Romains s’étonnèrent : ‘Pourquoi ne t’es-tu pas plaint jusqu’à présent ?’ Le Cohen Gadol répondit: «C’est votre impudence à profaner l’endroit où le nom du Maître du monde était inscrit qui me peine ! »

«Tu crois encore en Lui ! S’il est Maître du monde, qu’Il vienne te sauver de nos mains ! », le raillèrent-ils. A l’écoute de ces blasphèmes, les pleurs de Rabbi Yishmaël s’intensifièrent. Ses cris firent trembler la terre. Les anges tentèrent d’intercéder devant Hashem: «Maître du monde ! Ce Tsadik qui vivait une proximité si grande, doit-il périr ainsi ? »

Mais la profondeur des pensées d’Hashem ne sont même pas perceptibles par les anges. Un jour, nous comprendrons. Pour l’instant, nous n’avons qu’à faire confiance à la justesse de Ses décrets. Hashem répondit : « Laissez-le ! Son mérite sera utile pour le peuple ! »

Mais Rabbi Yishmaël hurla une troisième fois. Le trône céleste fut ébranlé, et Hashem voulut réduire le monde au tohu-bohu. L’ange Gavriel se hâta d’apparaître à Rabbi Yishmaël, et lui ordonna : « Accepte! Même si personne ne peut expliquer ! Lui, notre rocher, Son œuvre est parfaite, toutes Ses voies sont la justice même; Dieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit.[Devarim 32:4] Autrement, le monde retournera au tohu-bohu ! » Rabbi Yishmaël ben Elisha Cohen Gadol accepta de se taire, et se laissa mourir. La cour céleste prononça son oraison funèbre. Hashem dit: « La mémoire du juste est une bénédiction ! » 

Les anges Gavriel et Mikhaël ajoutèrent: « Sois heureux, Rabbi Yishmaël! Tu as eu l’immense mérite de monter sur l’autel céleste !» 

^^De toute l’humanité, y eut-il eu un homme qui pénétra les profondeurs de la Torah autant que Rabbi Akiva ?! Lorsque Moshé vit sa grandeur, il s’étonna : ‘C’est cet homme qui aurait dû transmettre la Torah !’

A l’âge de 120 ans, il fut condamné à une mort atroce : il se fit scalper avec des peignes de fer. Lorsque ses exécuteurs le sortirent, l’heure de réciter le Shéma arriva. Alors que les bourreaux s’en donnaient à cœur joie, ce Tsadik se prépara à réciter le Shéma Israël avec ferveur.

Dans le premier verset du Shéma  שְׁמַע יִשְׂרָאֵל ה’ אֱלֹקֵינוּ ה’ אֶחָד – Ecoute Israël, Hashem est notre Dieu, Hashem est Un– nous  témoignons de l’unicité d’Hashem. Nous attestons qu’Il est l’unique souverain du monde, et que toutes Ses actions contribuent à amener le monde vers le dévoilement de Sa suprématie.

Ainsi, Rabbi Akiva concentrait toutes ses forces pour prononcer ce verset avec ardeur. Ses disciples s’étonnèrent : ‘Maître ! A un tel point ?’ Il leur dit : « Sur le verset וְאָהַבְתָּ אֵת ה’ אֱלֹקֵיךָ בְּכָל לְבָבְךָ וּבְכָל נַפְשְׁךָ וּבְכָל מְאֹדֶךָ – Et tu aimeras Hashem ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme et de tout ton pouvoir [Devarim 6:4], nos Maîtres commentent :De toute ton âme – même s’Il te prend ton âme. Tous les jours de ma vie, je prononçais ce verset en pensant ‘Quand viendra le jour où j’accomplirai cette Mitsva, d’accepter l’unicité de Hashem, pour Son amour, au point de lui offrir ma vie ?’ Aujourd’hui, Hashem m’en donne l’opportunité !’ »

Rabbi Akiva prononça le Shéma en prolongeant le mot אֶחָד – Dieu est Un, plongé dans sa profonde signification, et mourut. Une voix céleste annonça : Sois heureux, Rabbi Akiva ! Ton âme t’a quitté en unifiant Hashem !’

^^Vint ensuite le tour de Rabbi Yéhouda ben Bava. Ce Tsadik était réputé pour sa grande pureté. Durant 26 ans de sa vie, il jeûna. Et de l’âge de 18 ans jusqu’à ses 70 ans, il se contenta de s’assoupir quelques instants sur sa chaise, puis de reprendre son étude. Lorsqu’il fut exécuté, une voix céleste annonça: ‘Sois heureux, Rabbi Yéhouda! Ton âme t’a quitté dans la pureté!

^^Rabbi Hanania ben Teradion avait la vertu de ne jamais offenser son prochain. Alors que les Romains interdisaient d’étudier la Torah, Rabbi Hanania rassemblait de grands publics et leur enseignait la Torah, en tenant constamment un Sefer Torah dans son sein.

Les Romains l’arrêtèrent, et le condamnèrent à mourir brûlé vif. Ils l’enroulèrent auparavant du parchemin de la Torah, et placèrent des chutes de coton mouillé sur son cœur, afin de ralentir sa consumation.

Sa fille, qui assistait à la scène, fut très tourmentée. Mais Rabbi Hanania la consola: « Ma fille, si tu me voyais brûler seul, ta blessure serait irrémédiable. Cependant, ce Sefer Torah qui m’accompagne doit te consoler: Celui qui vengera la sainte Torah vengera aussi ton père ! »

L’exécuteur fut impressionné de l’intégrité de Rabbi Hanania. Il proposa de retirer les cotons mouillés et d’augmenter le feu, si en échange, le Tsadik lui assurait le Olam Haba –le monde futur. Rabbi Hanania accepta. Le bourreau augmenta le feu, et se jeta aux flammes. Une voix céleste annonça: ‘Rabbi Hanania ben Teradion et son serviteur sont appelés au monde futur!

Vint le tour de Rabbi Yeshevav haSofer. Ses disciples qui accompagnaient leur maître dans ses derniers instants s’inquiétèrent de l’avenir du peuple d’Israël. Rabbi Yeshevav leur dit: « Mes enfants, veillez à toujours vous soutenir l’un, l’autre. Conduisez-vous avec paix et droiture, peut-être que Hashem éveillera Sa miséricorde sur Israël. »

L’empereur s’adressa à lui: ‘Vieillard, quel âge as-tu?

Rabbi Yeshevav lui répondit : « J’ai aujourd’hui 90 ans. Je n’ai pas de doute que l’heure de ma mort a été décrétée depuis ma fécondation. Cependant, Hashem souhaite que tu sois l’intermédiaire pour nous exécuter, afin que Sa vengeance contre Rome n’ait pas de limite! »

Irrité, César[1] ordonna de brûler ce Tsadik sur le champ. Une voix céleste annonça : ‘Sois heureux, Rabbi Yeshevav, d’avoir accompli toute la Torah!

^^Le 7e martyr des Romains fut Rabbi Eleazar ben Dama. Il devait être exécuté la veille de Shavouot. Il implora qu’on lui laisse quelques heures, afin de prononcer le Kidoush de Shavouot, pour remercier Hashem d’avoir donné la sainte Torah aux Bnei Israël.

L’empereur romain se moqua: « Vous, les juifs, vous êtes pitoyables! Au seuil de la persécution vous croyez encore en votre Dieu?! »

Rabbi Eleazar lui rétorqua: « Malheur à toi, César! Tes blasphèmes t’enfonceront dans l’abîme de l’enfer! »

L’empereur s’irrita et ordonna d’attacher ce juif par ses cheveux à un cheval, et de le traîner dans les rues de Rome.

^^Vint le tour de Rabbi Hanina ben Hakhinaï. Depuis ses 12 ans, jusqu’à ses 105 ans, ce Tsadik jeûnait tous les jours. Son exécution tomba un soir de Shabbat. Il demanda qu’on le laisse prononcer le Kidoush. Mais au milieu de la récitation, le bourreau perdit patience et l’acheva, alors qu’il prononçait le mot ‘Vayekadesh’.

Une voix céleste s’éleva : ‘Sois heureux, Rabbi Hanina ! Tu étais Kadosh (saint), et ton âme t’a quitté au mot Vayekadesh (qui a sanctifié)!’

^^Le 9e martyr fut Rabbi Houtspit Hametourgueman. Ce vieillard de 130 ans était d’une rare beauté. Les conseillers de César tentèrent en vain de dissuader l’empereur de s’en prendre à un homme si peu commun. Mais le diable romain ne voulut rien entendre, et le fit lapider.

^^Vint le tour de Rabbi Eleazar ben Shamoua. Sa condamnation fut fixée à un vendredi après-midi, mais il demanda lui-aussi à ce qu’on la reporte au soir, afin de dire une dernière fois le Kidoush.

A l’entrée de Shabbat, il prononça le Kidoush, mais en arrivant à l’avant-dernier mot, ‘Asher Bara Elohim’, l’exécuteur le frappa.

Une voix céleste s’éleva : ‘Sois heureux, Rabbi Eleazar! De ton vivant, tu ressemblais à un ange, et ton âme t’a quitté en prononçant le nom de Dieu!

Répands Ta colère sur les peuples qui ne Te connaissent point, sur les empires qui n’invoquent pas Ton nom! […]

Puisse sous nos yeux éclater la vengeance qu’appelle le sang de Tes serviteurs versé par eux! [Tehilim 79]


[1] L’histoire des 10 Harouguei Malkhout s’étale sur plusieurs années, sous Titus et les empereurs romains qui lui succédèrent