Chaque fête a ses coutumes culinaires ; l’incontournable de Pourim, ce sont les pâtisseries appelées : oreilles d’Haman.
Ce Haman que l’on piétine et que l’on maudit, pourquoi mange-t-on ses oreilles particulièrement ?
Dans tous les dessins illustrant la Méguila, il est représenté avec de grosses oreilles. Est-ce cela la raison ? Les secrets de notre histoire sont infinis et ont des fondements très solides.
Nous vous invitons à découvrir la signification des délicieuses oreilles d’Haman que l’on mange à Pourim.
Il est écrit dans la Méguila (9;27) : « קִיְּמוּ וְקִבְּלוּ / Kiymou vé kiblou », ce qui signifie, dit la Guémara (Chabat 88a), que les Bneï Israël à l’époque de Mordékhaï et Esther acceptèrent la Torah dans la joie.
A l’époque du Don de la Torah au Mont Sinai, Hachem renversa au-dessus d’eux la montagne comme une barrique et leur dit : « Il vaut mieux que vous acceptiez la Torah, sinon ici sera votre sépulture ». Ils n’acceptèrent donc la Torah que par crainte.
Plusieurs questions nous interpellent. Pourquoi Hakadoch Baroukh Hou leur a-t-Il retourné la montagne sur la tête ? Les Bnei Israel n’avaient-ils pas accepté toute la Torah volontairement, comme il est dit : « וַיֹּאמְרוּ כֹּל אֲשֶׁר דִּבֶּר ה׳ נַעֲשֶׂה וְנִשְׁמָע/Tout ce qu’a dit l’Éternel, nous le ferons » (Chémot 24;7) ?
De plus, comment se fait-il qu’en l’espace de près de 1000 ans, du Don de la Torah à l’époque du miracle de Pourim, aucun événement n’ait fait que les Bneï Israël acceptent la Torah dans la joie ?
Essayons de répondre à ces questions à l’aide d’un enseignement du Rav Dessler dans son ouvrage Mikhtav Mé Eliyahou.
Tout d’abord, remettons-nous dans le contexte historique. La troisième année de son règne, le roi A’hachvéroch organisa un très grand festin auquel il invita aussi les juifs. Une discorde éclata immédiatement au sein du peuple : « Faut-il y aller ou non ? ».
Deux partis se formèrent. Le premier affirmait qu’il était indispensable de se rendre à ce festin décisif pour l’avenir du peuple. Selon lui, l’absence des juifs leur causerait beaucoup de tort et les mettrait en réel danger, et de plus, c’était l’occasion idéale pour créer des liens avec les hauts dignitaires tant au niveau commercial que politique.
Mais pour l’autre parti, conduit par Mordékhaï qui n’était pas prêt à transiger, il n’était pas question de participer à ce festin.
Le parti opposé à Mordékhaï tenta de lui expliquer qu’il le respectait beaucoup pour sa grandeur en Torah et en crainte du Ciel, mais qu’il ne comprenait visiblement pas, dans cette situation, les enjeux politiques et financiers du peuple. Il était « vieux jeu », affirmèrent-ils, et ce n’était pas le moment de faire des ‘houmrot ! La suite de l’histoire nous est familière : ils participèrent au banquet, burent et mangèrent, car tous les aliments étaient cachères…
En effet, l’organisation de ce festin était très subtile, comme le fait remarquer le Maharam Chif. Le texte décrit le Michté dans tous les détails, et nous pouvons remarquer que cette fête ne fut pas accompagnée de musique.
Pourquoi ? C’est ce que veut nous dire l’expression :
« אֵין אֹנֵס/sans contrainte». En effet, la musique pourrait ne pas plaire à tout le monde, et il ne fallait rien imposer qui aurait pu être désagréable aux invités.
Aussi, et surtout, pour inciter les juifs à se joindre au Michté de plein gré, il ne fallait pas de musique, car un décret avait été édicté quelques années auparavant, après la destruction du Beth-Hamikdache, interdisant d’écouter de la musique en signe de deuil. Comme il est écrit dans Yéchaya 24;9 « בַּשִּׁיר לֹא יִשְׁתּוּ יָיִן יֵמַר שֵׁכָר לְשֹׁתָיו/On ne boit plus de vin en chantant, les liqueurs fortes ont un goût amer pour les buveurs ».
S’il y avait eu de la musique, les juifs ne se seraient pas joints au Michté. C’est la raison pour laquelle la musique était absente.
Neuf ans s’écoulèrent après le festin et le bilan, aux yeux des participants, fut positif comme prévu. Ils créèrent de bons contacts, et considérèrent le résultat comme une victoire sur Mordékhaï…
Mais voilà qu’à la douzième année du règne de A’hachvéroch, Haman accéda au pouvoir, comme il est écrit : « A la suite de ces événements, le roi A’hachvéroch éleva Haman, fils de Hamedata, l’Agaghite, en l’appelant à la plus haute dignité, et lui attribua un siège au-dessus de tous les seigneurs qui étaient avec lui ». Tous les sujets du royaume s’agenouillèrent devant Haman, tous sauf… Mordékhaï.. Son attitude éveilla la colère de Haman, mais aussi celle des Bneï Israël.
Ils protestèrent contre Mordékhaï, contre son refus de se prosterner, car d’après la loi, il n’était pas interdit de se prosterner devant un homme, l’interdiction étant seulement de s’agenouiller devant une idole (Sanhedrine 61b).
Mais Mordékhaï resta sur sa position. Même s’il est vrai qu’il soit permis de se prosterner, il jugeait nécessaire de se comporter de façon zélée pour l’honneur de Hakadoch Baroukh Hou. Étant issu de la tribu de Binyamine qui ne s’était pas prosterné devant un renégat, Mordékhaï voulait perpétuer cette attitude. (Au moment où Yaakov et ses fils se prosternèrent devant Essav, Binyamine n’était pas encore né.) Par conséquent, il ne s’agenouilla ni ne se prosterna devant le méchant Haman.
A la suite du comportement opiniâtre de Mordékhaï, Haman, furieux, proposa au roi un décret qui consistait à détruire, exterminer et anéantir tous les juifs en un seul jour ! [Entre parenthèses, savez-vous pourquoi Haman décida d’exterminer les juifs en un seul jour et pas en plusieurs ? Car ce racha avait même envisagé sa défaite. Il s’est dit : « Si je suis vaincu, les juifs vont fêter leur victoire. Mieux vaut donc essayer de les anéantir en un seul jour : de cette façon, ils fêteront cela un seul jour et pas plus ! Mais ce malheureux n’a pas pensé à la possibilité de Chouchane Pourim !*] Ce décret bouleversa tout le peuple. Mordékhaï fit appel à Esther, qui lui répondit ainsi : « Va rassembler tous les juifs présents à Chouchane et jeûnez à mon intention ; ne mangez pas et ne buvez pas pendant trois jours ». Ainsi Mordékhaï fit ce qu’Esther lui ordonna : il alla rassembler tous les juifs et leur ordonna de prier, de jeûner et de faire téchouva !
Mais surtout, Mordékhaï leur dit : « Sachez que ce terrible décret nous vient du Ciel à cause de votre participation au festin d’A’hachvéroch voici neuf ans ».
Le peuple savait très bien que ce décret de Haman découlait de l’entêtement de Mordékhaï. On aurait pu s’attendre à une réaction de révolte envers les remontrances de Mordékhaï. Mais aucun juif ne se leva contre lui, pas un seul, bien au contraire. Tout le peuple écouta ses paroles qui éveillèrent une grande téchouva parmi eux.
Qu’a provoqué un tel changement au sein des Bneï Israël au point qu’ils obéirent sans mot dire à Mordékhaï ?
Le « décret final » et l’envoi des missives fut comme un électrochoc pour chacun d’entre eux et cette frayeur a ébranlé leur corps. Une fois le corps sans réponse, le dialogue avec la néchama est plus facile. C’est ainsi que les paroles de Mordékhaï ont pu atteindre leur néchama !
Comme nous l’enseigne la Guémara (Méguila 14a), la remise du sceau royal d’A’hachvéroch dont Haman allait se servir pour concrétiser son funeste décret a été plus efficace pour encourager le peuple à la Téchouva que les quarante-huit prophètes et sept prophétesses. Et de ce fait, ils ont pu voir les vraies raisons du décret de Haman et se sont laissés guider par Mordékhaï qu’ils avaient autrefois considéré comme « obstiné ».
Nous pouvons maintenant répondre à notre question : comment se fait-il qu’en l’espace de près de 1000 ans, aucun événement n’a fait accepter au peuple juif la Torah dans la joie ?
Le Midrach Tan’houma (parachat Noa’h), nous révèle que lors du don de la Torah au mont Sinaï, les Bneï Israël ont déclaré « וַיֹּאמְרוּ כֹּל אֲשֶׁר דִּבֶּר יְהוָה נַעֲשֶׂה וְנִשְׁמָע/Tout ce qu’a dit l’Éternel, nous le ferons », uniquement en ce qui concernait la loi écrite. Par contre, ils étaient plus réticents quant à la loi orale. Et c’est à ce sujet que Hakadoch Baroukh Hou les a menacés en renversant la montagne au-dessus d’eux.
Que pouvait les déranger dans la loi orale, plus que dans la loi écrite, au point de ne pas l’avoir acceptée de bon gré ?
Lors du don de la Torah, les Bneï Israël avaient un argument pour refuser la Torah orale. En effet, ils dirent à Hachem : « Nous sommes prêts à accepter les yeux fermés tout ce que Toi, Tu dis. Mais ce que les rabbins vont décréter, non ! Car ce que Tu décrètes est sans nul doute la vérité. Par contre, qui pourra nous prouver que les paroles des ‘rabbins’ seront vraies. Comment en être sûrs ? » Par conséquent, lorsqu’ils ont accepté la Torah au mont Sinaï, ils ont accepté volontiers les paroles de D.ieu, mais se sont méfiés de celles des Sages. C’est pour cela qu’Hachem fut contraint de retourner la montagne sur leur tête.
Au mont Sinaï, les Bneï Israël n’avaient pas encore perçu le bien-fondé d’écouter les rabbins. Ce n’est que 1000 ans plus tard, à Pourim, qu’ils le comprirent et, de ce fait, acceptèrent la Torah avec joie et enthousiasme. L’obéissance des juifs aux paroles de Mordékhaï a joué en leur faveur.
Par leur fidélité envers Mordékhaï, ils ont pu expier la faute qu’ils avaient commise dans le passé par manque de foi en la parole des Sages.
Lorsque les juifs participèrent au festin d’A’hachvéroch neuf années auparavant, leur faute était particulièrement grave. Non seulement avaient-ils transgressé l’interdit de se joindre aux festivités des non juifs, mais ils avaient surtout outrepassé la décision de Mordékhaï. Ils avaient préféré la vision « large » et « éclairée » des participants au festin plutôt que l’opinion « étroite » de Mordékhaï. C’est pour cela qu’il est écrit dans la Méguila : « קִיְּמוּ וְקִבְּלֻ», le mot « וְקִבְּלֻ » étant écrit sans « ו » à la fin. Cette anomalie nous montre que les Bneï Israël ont alors accepté la Torah orale, une Torah qui se transmet de bouche à oreille mais qui ne s’écrit pas. Le « ו » manquant a pour valeur numérique 6, qui représente les six traités de la Michna qui forment la base de la Torah orale.
« L’écoute » est une qualité essentielle à la construction d’un « yehoudi », comme il est enseigné dans les Pirkeï Avot (6;6) : une des 48 qualités indispensables pour acquérir la Torah est « בִּשְׁמִיעַת הָאֹזֶן/l’écoute de l’oreille ». En effet, notre oreille doit être attentive aux paroles de nos Sages, comme nous l’enseigne Chlomo Hamélekh (Proverbes 15;31) : « אֹזֶן שֹׁמַעַת תּוֹכַחַת חַיִּים בְּקֶרֶב חֲכָמִים תָּלִין /Prêter une oreille attentive aux réprimandes, c’est mériter de vivre parmi les Sages ».
La fête de Pourim doit nous faire prendre conscience de l’importance d’écouter nos Sages. Comme Mordékhaï, ils enseignent et prennent des décisions par Roua’h Hakodech (Inspiration Divine).
En effet, lorsque nos Rabanim tranchent en disant que telle chose est néfaste et interdite, certains pourraient penser qu’ils sont « vieux jeu » et ne comprennent pas les enjeux économiques, politiques et sociaux de la chose. Ils croient que les écouter mène à l’échec !
Profitons de la fête de Pourim moment opportun pour prier, pour demander au Tout-puissant d’ouvrir notre cœur et nos oreilles et de nous permettre d’entendre et d’accepter la voix de nos Sages, nous et nos femmes, nos enfants et tous nos proches. Car n’oublions pas que si nous sommes là aujourd’hui, c’est grâce à nos pères qui ont obéi à Mordékhaï, ce qui les a épargnés du terrible décret de Haman…
Après avoir vu que les Bneï Israël ont été sauvés parce qu’ils ont écouté les paroles de Mordékhaï, observons en parallèle ce qui a causé la perte d’Haman.
Tout d’abord, remarquons que le souvenir que nous avons de ce méchant, ce sont ses oreilles.
Vous êtes-vous un jour posé la question sur l’origine de cette coutume de manger ces gâteaux appelés « oreilles d’Haman » ?
Ce n’est pas seulement de la pâte en forme d’oreille, mais ce sont des pâtisseries fourrées au chocolat, aux dattes et autres.
Nous pouvons voir dans cette « simple » coutume un fondement essentiel de la fête de Pourim : la perte d’haman fut causée par son orgueil et son refus d’écouter les autres !
En effet la Méguila (5;9-14) nous dévoile les traits de caractère de ce racha.
À la suite du premier festin qu’Esther organisa, Haman rentra chez lui le cœur content et raconta à sa femme Zérech et à tous ses proches les honneurs dont il fut l’objet et la façon dont le roi l’avait distingué et élevé au-dessus des gouverneurs et des serviteurs royaux. Il se vanta d’avoir été le seul invité au repas de la reine Esther et annonça alors qu’il était convié de plus aux réjouissances du lendemain. Néanmoins, il ajouta : « Mais tout cela est sans valeur pour moi tant que je vois le juif Mordékhaï siégeant à la porte du roi ! ».
Dans ce passage, nous voyons que le fier Haman ne se suffit jamais de son sort, il lui faut toujours plus…
Dans la suite du texte, il est écrit : « Sa femme Zérech et ses proches lui répondirent : ‘Qu’on dresse une potence haute de cinquante coudées et demain matin, dis au roi qu’on y pende Mordékhaï’… Le conseil plut à Haman et il fit dresser la potence ».
Mais Haman haracha, dans sa hâte à pendre Mordékhaï, ne suivit pas les conseils de sa femme et de ses proches.
Le Alchikh souligne que Haman vint voir A’hachvéroch pour lui proposer de pendre Mordékhaï le soir même, alors que sa femme lui avait conseillé d’attendre le lendemain matin.
Son entrée en scène à un moment si inopportun marque le début de sa chute.
Reconstituons la scène : cette nuit-là, A’hachvéroch n’arriva pas à trouver le sommeil et demanda qu’on lui lise le Livre des souvenirs où il était relaté que Mordékhaï avait sauvé le Roi d’un empoisonnement. Plein de reconnaissance envers Mordékhaï, il aperçut Haman et lui demanda que convenait-il de faire à l’homme que le roi voulait honorer. Pensant qu’il parlait de lui, Haman conseilla au Roi de le vêtir des vêtements du roi et de le promener sur son cheval royal, un scénario qui permettra à Esther de demander au roi de sauver son peuple des mains de Haman.
Ainsi, nous voyons qu’Haman a échoué simplement parce qu’il n’avait pas écouté !
Son orgueil l’a rendu borné au point de rien entendre, pas même des conseils qui allaient dans son sens !
Ceci nous fait comprendre la coutume de manger les oreilles d’Haman fourrées, ou plutôt… bouchées !
Nous les mangeons pour détruire et faire disparaître les oreilles bouchées et affirmer que nous faisons partie de ceux qui écoutent les paroles de nos sages !
A ce sujet, le « Chaarei Téchouva » nous fait découvrir le don précieux qu’est le sens de l’ouïe, et nous dit que l’oreille doit nous servir à écouter les réprimandes. Il rapporte la parabole suivante (Chémot Raba Yitro 27 ; 9) :
Lors d’une chute, un homme se brise tous les membres du corps. Pour le guérir, il faudra bander ou plâtrer chacun d’entre eux.
Pour le pécheur atteint d’une maladie spirituelle, ce sont tous ses membres qui sont atteints, car tous sont souillés par la faute. Pourtant, D. guérit tous ses membres grâce à un « pansement » unique : l’oreille qui écoute attentivement, comme il est dit (Yéchayahou 55;3) : « Prêtez l’oreille et venez à Moi ; écoutez et vous vivrez. »
La Téchouva ne naît que par l’écoute. Nous voyons d’ailleurs que depuis le début du mois d’Elloul à Yom Kippour, le réveil de notre Téchouva se fait en écoutant les sons du chofar.
En effet, la mitsva du chofar n’est pas de prier et de faire des demandes à Hachem pendant les sonneries, mais d’écouter chaque son du chofar en se concentrant. Et si ‘Hass ve chalom, nous manquons d’entendre un son, nous n’avons pas accompli la mitsva.
Nous pouvons mettre en parallèle la mitsva d’écouter la Méguila. La loi est très stricte : il faut être très pointilleux dans la lecture et surtout l’écoute de la Méguila, sans omettre un seul mot, car la majorité des décisionnaires disent que si l’on manque ne serait-ce qu’un mot, on n’aura pas accompli la mitsva.
C’est ainsi que l’une des Mitsvot de Pourim sera de rester assis 30 ou 40 minutes et ne rien faire d’autre qu’écouter !
Rav Mordekhai Bismuth
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