21 décembre 2024

Tou Bichevat – Le Nouvel An des Arbres & la loi

La première michna du traité Roch Hachana énumère les quatre jours de l’année considérés comme un Roch Hachana, c’est-à-dire un nouvel an : tout d’abord le 1er Nissane qui est le nouvel an pour les règnes des rois et les fêtes. Vient ensuite le 1er Eloul qui est le nouvel an pour la dîme du bétail. Toutefois, Rabbi Eléazar et Rabbi Chimon pensent qu’il a lieu le 1er Tichri.

Le 1er Tichri est le début de l’année pour le compte des années de Chemita et de Yovel (jubilé), pour la plantation et les légumes.

Enfin, le 1er Chevat est le nouvel an pour les arbres, selon les propos de Beth Chamaï ; mais selon Beth Hillel, c’est le 15 du mois.

La Halakha est fixée selon Beth Hillel, aussi le nouvel an des arbres est fixé à Tou Bichevat, littéralement le 15 Chevat (les lettres טו/Tou ayant une valeur numérique de 15). Ce jour-là marque le début de l’année pour le maassère (la dîme) que l’on prélève sur la récolte (voir figure ci-après). Les fruits de l’arbre ne sont pas considérés selon l’année de leur récolte, mais selon celle de leur floraison. C’est ainsi que, si la floraison a eu lieu avant Tou Bichevat, on prélèvera sur ces fruits le maassère pour l’année écoulée. Mais si la floraison s’est faite après, on prélèvera le maassère pour la nouvelle année.

Le maassère est une obligation de la Torah de donner deux dîmes prélevées sur les produits de la terre d’Israël, toutes deux appelées maassère. La première – « maassère richone » – est donnée à un Lévi. La seconde – « maassère chéni » – est emportée à Yérouchalayim et consommée sur place ou bien rachetée avec des pièces d’argent qui sont ensuite apportées à Yérouchalayim pour y acheter de la nourriture qui sera consommée dans la ville sainte.

Dans le domaine des prélèvements de maassère, il faut savoir qu’aux années un, deux, quatre et cinq du cycle de la chemita, il faut prélever le maassère chéni. Les années trois et six, on prélève à la place le maassère ‘ani qui est donné aux pauvres.

Tou Bichevat est aussi la date où l’on clôture le compte des troisième et quatrième années d’un arbre planté deux ans auparavant. En effet, la Torah déclare[1] qu’il est interdit de consommer ou de tirer profit des fruits d’un arbre récemment planté ou replanté et ce, durant les trois premières années de sa vie. Pendant cette période de trois ans, ces fruits sont appelés ‘orla, et doivent être détruits. La quatrième année (révaï), ces fruits sont considérés comme saints et doivent être consommés à Yérouchalayim. Bien qu’en règle générale, les mitsvot concernant les récoltes ne s’appliquent qu’en Erets Israël, nous savons d’une tradition reçue par Moché Rabénou au Mont Sinaï que la ‘orla fait exception.

Comment calcule-t-on ces années de l’arbre ?

On les compte à partir de Roch Hachana (le 1er Tichri). Si l’arbre a été planté au moins 45 jours avant Roch Hachana, c’est-à-dire 15 jours de prise des racines et 30 jours qui seront considérés comme une année, on considère que l’arbre a un an. Après ce premier Roch Hachana, il entre dans sa deuxième année.

Par contre, si l’arbre est planté moins de 45 jours avant Roch Hachana, il n’entrera dans sa deuxième année qu’après le Roch Hachana suivant. Ensuite, la troisième et quatrième années seront comptées à partir du 15 Chevat (voir figure ci-dessous).


A priori, la date de Tou Bichevat est donc un repère dans le temps, un jour qui fixe des limites au point de vue de la loi mais qui n’est en aucun cas une fête. Bien qu’à Tou Bichevat on ne récite pas Ta’hanoun et qu’on ne doive pas jeûner[2], ce n’est pas pour autant un jour de fête.

Les coutumes du Sédère de Tou Bichevat

Cependant, il existe une coutume de consommer un grand nombre de fruits ce jour-là. Chacun organise un Sédère selon sa tradition régionale ou familiale. Certains consomment 7 fruits, de préférence les 7 fruits d’Israël. [Les produits agricoles qui caractérisent le pays d’Israël sont au nombre de sept[3] : « Un pays de blé et d’orge, de raisin, de figues et de grenades, un pays d’olives et de miel (de dattes). »]. D’autres personnes consomment 15 fruits car on est le 15 Chevat ou encore 30 fruits car le mois de Chevat a 30 jours, ou autant de fruits que possible !

Le but de ce Sédère n’est pas simplement de déguster des fruits, mais essentiellement de louer Hakadoch Baroukh Hou pour les fruits qu’Il nous offre, et de prier en ce nouvel an que les arbres soient bénis et que leurs fruits arrivent à maturité. Cependant, il existe une manière encore plus belle de louer Hakadoch Baroukh Hou : obéir aux lois de la Torah. Nous allons l’expliquer :

Il est primordial de savoir qu’une coutume, même très louable, ne pourra pas être observée au détriment d’une loi de la Torah. Celui qui pense qu’il y a une obligation de manger des fruits secs ce jour-là, tels que des figues, abricots ou dattes, doit savoir qu’une vérification soigneuse sera OBLIGATOIRE au préalable.

Prenons l’exemple de la figue, que certaines communautés ont pour coutume de manger ce jour-là. Du fait qu’aujourd’hui les figues sèches présentes sur le marché sont infestées d’insectes/tolaïm, sa vérification doit être faite de manière rigoureuse. Cependant, comme cette vérification est extrêmement difficile, les Rabbanim déconseillent fortement d’en consommer. Malgré tout, nous pourrons poursuivre le Sédère même sans manger de figues. Celui qui s’obstinera à en manger pour perpétuer la coutume de ses pères, perdra surement plus qu’il ne gagnera. Mais quiconque s’abstiendra d’en consommer sera digne de louanges et méritera une bénédiction particulière.

On raconte qu’un jour, trois petits-fils de grands Rabbanim, parmi eux le petit-fils du ‘Hafets ‘Haïm, étaient réunis et parlaient de la grandeur de leur grand-père.

Le premier louait son grand-père en racontant que ses bénédictions avaient toujours un effet, comme il est dit[4] : « וְתִגְזַר אוֹמֶר וְיָקָם לָךְ/tu prononceras une parole et elle sera accomplie pour toi ».

Le second aussi décrivit la piété et la vertu de son grand-père qui fit annuler de nombreux décrets divins visant la communauté, comme l’ont dit nos sages : « Le Tsadik décrète et Hachem accomplit ».

Le dernier, petit-fils du ‘Hafets ‘Haïm, répliqua que la grandeur de son grand-père tenait à ce qu’il accomplissait les commandements de D.ieu : Hachem décrète et le Tsadik accomplit, tout simplement. La vraie grandeur, c’est faire ce que D. attend de nous.

Préserver sa Néchama

La Torah interdit expressément la consommation d’insectes/tolaïm, lesquels sont souvent présents dans les fruits et les légumes que nous consommons quotidiennement. Cet interdit est l’un des principes importants de la cacheroute et l’un des fondements de la pureté de l’âme juive. En effet, nos sages ont déclaré à plusieurs reprises que consommer des aliments non cachère obstrue l’âme et réduit sa capacité à s’élever vers la spiritualité.

Le Midrach Tan’houma nous offre la parabole suivante : un médecin vient visiter deux patients. Au malade incurable, il permet de manger ce qu’il voudra, tandis qu’au second qui est en voie de guérison, le médecin impose un régime rigoureux.

Le Juif est appelé à vivre ! Il se trouve dans ce monde-ci pour servir Hachem et préparer sa vie future !

Même si, évidemment, on peut voir dans les lois de cacheroute un respect de règles d’hygiène, de médecine ou de diététique, ces raisons ne sont, en tout état de cause, que des éléments secondaires. Le but premier des lois de la cacheroute est notre obéissance à l’ordre de Hachem afin de garder notre Néchama en « bonne santé » spirituelle et de permettre à notre esprit de réfléchir sainement.

La Guémara[5] nous enseigne à propos du verset[6] : « אַל תְּשַׁקְּצוּ אֶת נַפְשֹׁתֵיכֶם בְּכָל הַשֶּׁרֶץ הַשֹּׁרֵץ וְלֹא תִטַּמְּאוּ בָּהֶם וְנִטְמֵתֶם בָּם/Ne vous rendez point abominables par toutes ces créatures rampantes ; ne vous souillez point par elles, vous en contracteriez la souillure. » – ne lis pas «וְנִטְמֵתֶם-Vénitmétème/vous en contracteriez la souillure», mais lis plutôt «וְנִטַמֵתֶם-Vénitamtème/ vous seriez obstrués par elles ». En effet, la consommation des créatures non cachère bouche les canaux spirituels reliant l’âme au corps de l’homme, donnant ainsi naissance à un esprit impur souillant la pensée puis les actes. La Guémara ajoute que celui qui se rend impur dans ce monde-ci sera impur aussi dans le Monde Futur.

Nos Sages énoncent le principe suivant :

« On est ce que l’on mange». De ce fait, il est primordial de faire toujours attention à ce que l’on porte à notre bouche. Le Rambam nous enseigne qu’une fois avalé, l’aliment fait partie intégrante de notre corps et influence automatiquement notre personnalité. Le Ari Zal précise que l’on ne se nourrit pas seulement de l’enveloppe matérielle de l’aliment, mais aussi du contenu spirituel qu’il renferme.

Aussi, chacun d’entre nous doit être vigilant pour lui-même et pour les siens, même dès leur plus jeune âge. S’il est vrai que pour un enfant, selon la Halakha, nous pouvons parfois être moins exigeants, il faut tout de même user de beaucoup de prudence afin de préserver sa Néchama.

L’enthousiasme des enfants pour les Mitsvot sera d’autant plus fort que les parents se sont montrés vigilants quant à la cacheroute des aliments qu’ils consomment. La nourriture est le carburant de l’homme, elle l’aide dans son service divin.

Manger cachère, ce n’est pas simplement regarder les étiquettes. C’est aussi prendre conscience que la nourriture que l’on va consommer sert à sanctifier le Nom de Hachem et à optimiser notre conduite dans tous les domaines. Je mange donc je suis…… Juif !

En d’autres termes, un Juif négligeant les lois de cacheroute affaiblit sa capacité à comprendre le message de la Torah. Il ne s’agit pas ici d’intelligence : manger cachère ne rend pas plus intelligent mais nous rend plus réceptifs, plus fins intellectuellement et affectivement, pour percevoir et accepter de faire ce que Hachem attend de nous.

Acquérir et faire fructifier ses mérites

C’est pour cela que vérifier l’absence de tolaïm est un devoir pour chacun de nous. Comme les insectes ne sont pas toujours identifiables au premier abord, il est important de savoir comment vérifier un aliment pour détecter rapidement et efficacement leur présence.

La consommation d’insectes morts ou vivants est l’une des fautes plus graves de la Torah. À titre de comparaison, un homme qui mange un morceau de porc enfreint un seul commandement négatif de la Torah [ce qui est déjà très grave] , alors que celui qui avale ne serait-ce qu’un tout petit insecte, transgresse 4, 5 ou 6 interdits, selon les cas.

Il existe trois groupes d’insectes interdits :

1. Les insectes vivant dans l’eau, comme ceux que l’on trouve dans les poissons ; leur consommation représente 4 interdits.

2. Les insectes rampants, tel un ver dans une pomme, une cerise ou un abricot… 5 interdits.

3. Les insectes ailés, comme un moucheron dans une salade:        6 interdits.

La transgression de ces interdits est multipliées par le nombre d’insectes contenu dans un même aliment ! Cela signifie qu’une personne peut transgresser, par simple négligence, un très grand nombre d’interdits en mangeant un aliment non vérifié préalablement, alors que cette même personne ne consommerait pour rien au monde le moindre morceau de porc ou de viande taref [que D.ieu nous préserve].

Regardons à présent l’aspect positif : à la fin du traité Makot[7], Rabbi ‘Hannania ben Akachia dit : « Hakadoch Baroukh Hou a voulu faire acquérir des mérites à Israël, c’est pour cela qu’Il leur a donné Torah et Mitsvot en abondance… »

Un jeune garçon qui ne comprenait pas le sens de cette Michna alla un jour questionner son Rav :

Si Hakadoch Baroukh Hou a voulu nous faire acquérir des mérites, pourquoi a-t-Il multiplié les Mitsvot positives et négatives ? Chacune d’entre elles est au contraire comparable à un adversaire, car elles sont si nombreuses qu’elles peuvent nous faire transgresser à chaque instant.

Le Rav lui répondit que la Torah nous a ordonné de nombreux interdits, comme ceux qui concernent la consommation de créatures répugnantes, d’insectes rampants, ou de vers. Bien que de toute manière, les gens s’abstiennent d’en consommer car ils sont dégoûtants, la Torah nous le prohibe. Pourquoi ? Pour la seule raison qu’Hachem a cherché par là à augmenter la récompense d’Israël et à nous faire acquérir des mérites, en faisant une mitsva du fait de s’abstenir de les manger. De ce fait, quiconque avale ne serait-ce qu’un tout petit insecte transgresse 4, 5 ou 6 interdits ; mais s’il s’en abstient et vérifie tout ce qu’il mange, sa consommation se transforme en mérites !

Aussi, si pour nous le Sédère de Tou Bichevat a pour but de louer et de remercier Hakadoch Baroukh Hou, organisons un Sédère de Tou Bichevat rare et louable de non-consommation d’insectes ! Nos vérifications et/ou nos abstentions donneront du na’hat/ plaisir à Hachem, et nous apporteront les plus belles bénédictions.


[1] Vayikra 19:23-24

[2] Choul’hane Aroukh §131,6

[3] Devarim 8;8

[4] Iyov 22;28

[5] Yoma 39a

[6] Vayikra 11;43

[7] Page 23b